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Le 26 avril 2019

Décote fiscale sur titres de SCI : Nouveau revirement concernant la jurisprudence Quemener 

Par un arrêt FRA du 24 avril 2019, le Conseil d’Etat revient sur l’arrêt LUPA (6 juillet 2016) qui refusait l’application de la jurisprudence Quemener aux opérations de réévaluation d’immeuble réalisées à la suite de l’acquisition des titres d’une SCI (ou SNC) non soumise à l’IS qui en était propriétaire.

Ces opérations prenaient généralement la forme d’une TUP (avec réévaluation comptable préalable) de la SCI et transfert de ses actifs (à leur valeur de marché) et passifs à l’associé ayant précédemment acquis ses parts, sans imposition effective de la plus-value latente existant dans les comptes de la SCI dissoute.

Elles permettaient d’éviter l’application d’une décote pour fiscalité latente en cas de cession de parts de SCI, l’acquéreur ayant la possibilité de réévaluer la valeur fiscale de l’immeuble sans imposition.

L’arrêt FRA valide donc à nouveau l’application de la jurisprudence Quemener dans ce cas de figure (et donc la non-imposition) en revenant sur la jurisprudence Lupa de 2016 qui avait jugé au contraire que cela n’était plus possible.

La conséquence pratique devrait être la non application d’une décote pour fiscalité latente en cas de cession de titres d’une SCI non IS lorsque l’immeuble est inscrit à son bilan pour une valeur comptable très inférieure à sa valeur de marché.

Mais ces changements de position à répétition ne vont-ils pas refroidir les investisseurs…

 

EN BREF :

1/ Rapidement présentée, avant l’arrêt Lupa, la jurisprudence Quemener permettait, en cas de TUP d’une SCI (ou SNC) non soumise à l’IS, dont l’associé venait d’acquérir les parts, l’inscription de l’immeuble à sa valeur réelle au bilan de l’associé « tupant » (en lieu et place des parts de la SCI « tupée ») en ne soumettant pas à l’impôt la plus-value latente pouvant exister au bilan de la SCI (différentiel entre la valeur de marché et la VNC de l’immeuble au bilan de la SCI).

De fait, si une telle opération était réalisée peu après l’acquisition des titres de la SCI, l’acquéreur retrouvait à son bilan pour sa valeur de marché, le bien immobilier qui figurait précédemment dans les comptes de la SCI pour une valeur historique souvent faible, sans qu’une imposition ne soit due

2/ Cette opération – qui depuis les années 2000 était devenue une pratique de marché –  permettait la cession de titres de la SCI sans décote du prix de vente au titre d’une éventuelle plus-value latente potentiellement taxable au niveau de la société cédée. L’arrêt LUPA avait remis en cause cette possibilité en considérant que la jurisprudence Quemener ne pouvait s’appliquer que dans l’hypothèse ou la plus-value latente existant au bilan de la SCI était apparue alors que l’associé réalisant la TUP était déjà associé de ladite SCI (problématique détaillée ci-après).

3/ L’arrêt FRA revient sur cette approche et considère que la jurisprudence Quemener est applicable quand bien même l’associé de la SCI vient d’acquérir les parts. Pour ce faire, le Conseil d’état se fonde sur le fait que cette jurisprudence vise à éviter une double imposition d’un même profit économique, et qu’il est indifférent pour sa mise en œuvre que la double imposition dudit profit repose sur un même contribuable ou non.

C’est le fondement de la jurisprudence Lupa qui est donc clairement abandonné.

 

Pour mieux comprendre :

Quelques rappels techniques

1/ Rappel de la jurisprudence Quemener

La jurisprudence Quemener, qui date de 2000, vise à éviter les situations de double imposition ou de double déduction fiscale liées à la cession de parts de sociétés non soumises à l’IS (en général une SCI, et donc ci-après la « SCI », bien qu’il puisse s’agir d’une SNC). Le problème provient de la translucidité fiscale des SCI, l’associé étant imposé sur le profit ou bénéficiant des pertes fiscales de la société qu’il en bénéficie ou qu’il la supporte sur le plan juridique (sous forme de distribution de dividendes ou d’imputation d’un report à nouveau déficitaire sur son compte courant) ou non.

Si une SCI réalise une plus-value sur un immeuble mais que cette plus-value n’est pas distribuée aux associés et qu’ensuite les associés cèdent les parts de la SCI,

la plus-value sur l’immeuble sera imposable au niveau des associés du fait de la translucidité de la SCI, mais

sera également une des composantes du prix de cession des parts (du fait de sa non distribution) et

sera, à ce titre, à nouveau imposée au niveau des associés au titre de la plus-value sur la cession desdites parts.

Cette situation peut également se rencontrer en cas de pertes comptables de la SCI non apurées par l’associé préalablement à la cession des parts (l’associé déduit alors sur le plan fiscal deux fois la même perte économique). C’est d’ailleurs dans ce contexte et à la demande de l’Administration fiscale que l’arrêt Quemener avait été rendu.

Pour corriger cette situation, la jurisprudence Quemener prévoit qu’en cas de cession de parts de SCI (ou toutes autres sociétés fiscalement transparentes) la plus ou moins-value fiscale de cession des parts de la SCI doit être :

diminuée des profits réalisés par la SCI et imposés au niveau de l’associé cédant sans avoir été distribués,

et inversement, augmentée des pertes réalisées par la SCI et déduites chez l’associé mais non affectées au compte courant de celui-ci (et qui viennent donc réduire la valeur des parts cédées).

2/ Application aux acquisitions de SCI recelant des plus-values latentes

Ce mécanisme a ensuite été appliqué dans le cas d’opérations d’acquisition de SCI suivie de leur liquidation ou TUP (concomitante à une réévaluation comptable de l’immeuble).

Dans ce cas, l’acquéreur de la SCI du fait de la TUP ou liquidation de celle-ci devenait imposable sur :

la plus-value latente existant sur l’immeuble dont était propriétaire la SCI en cause (la cessation d’activité de la SCI et la réévaluation comptable rendant immédiatement imposables les plus-values latentes existants sur ses actifs),

or cette plus-value ne faisait pas l’objet d’une distribution de dividendes, la SCI étant dissoute.

en conséquence, le correctif Quemener devait trouver à s’appliquer au niveau de la plus ou moins-value de « cession » de parts de la SCI chez  l’associé  « tupant », plus-value qui par principe sur le plan comptable était nulle (les parts de la SCI venant d’être acquises sur la base d’un prix intégrant la valeur réelle de l’actif sous-jacent).

il en résultait une moins-value fiscale sur les parts de la SCI correspondant nécessairement à la plus-value sur l’immeuble (la plus-value comptable, nulle par hypothèse étant réduite de la plus-value sur l’immeuble constatée au niveau de la SCI, soit une moins-value fiscale sur les parts de la SCI correspondant à ladite plus-value sur immeuble),

la plus-value sur immeuble, imposable chez l’associé (du fait de la transparence fiscale de la SCI) et la moins-value fiscale sur les parts de la SCI constatée chez l’associé pouvaient alors se compenser ce qui évitait toute charge fiscale.

Exemple : soit une SCI propriétaire d’un actif immobilier d’une valeur réelle de 10M€, dont la VNC au bilan est de 3M€, soit une plus-value latente de 7M€. Cette SCI n’a aucun autre actif et aucune dette, sa valeur réelle est donc de 10M€.

La Société A acquiert la SCI pour un prix de 10M€. Elle procède ensuite à la TUP de la SCI ce qui conduit sur le plan fiscal à :

la constatation de la plus-value sur l’immeuble au niveau de la SCI soit 7M€ imposable au niveau de la société A (du fait de la transparence fiscale de la SCI)

la constatation d’une plus ou moins-value comptable sur les parts de la SCI de 0, soit la différence entre la valeur de l’immeuble 10M€ et le prix de revient des parts de la SCI annulées (10M€ également)

or cette plus-value comptable de 0 doit être réduite par application de la jurisprudence Quemener de 7M€, soit une moins-value fiscale sur parts de la SCI de 7M€

moins-value fiscale sur les parts de la SCI qui vient mécaniquement compenser la plus-value imposable sur l’immeuble de la SCI, imposable chez la société A.

Au final, le résultat imposable pour la société A est donc nul mais à son bilan figure maintenant l’immeuble pour sa valeur de marché de 10M€. C’est cette valeur qui servira ensuite au calcul des amortissements ainsi que comme prix de revient dans l’hypothèse d’une cession d’immeuble.

A souligner que si cette opération peut sembler complexe, elle ne vise pas à éviter l’imposition au titre d’un profit mais qu’un impôt soit dû en l’absence de profit (l’associé de la SCI ne réalise aucun gain économique dans l’opération de TUP).

3/ Position de l’Administration fiscale

Pour mémoire, l’administration avait validé l’application de la jurisprudence Quemener aux opérations de TUP de SCI post-acquisition dans le cadre d’un rescrit de 2007 publié au BOFIP (et toujours accessible). Par ailleurs, elle avait émis de nombreux rescrits individuels favorables.

L’arrêt LUPA et ses conséquences 

L’arrêt LUPA est venu mettre un frein à cette pratique en considérant que la jurisprudence Quemener ne pouvait s’appliquer que si la double imposition, qui justifie l’application de ce dispositif, ne concernait pas seulement le profit mais le contribuable lui-même.

Dès lors, en cas d’acquisition des parts de la SCI puis de réalisation d’une TUP, la jurisprudence Quemener n’empêchait pas une double imposition d’un même profit au niveau d’un même contribuable ; il n’y avait qu’une imposition « unique » d’un profit que le contribuable n’avait pas économiquement réalisé (le corollaire ayant été l’imposition de ce même profit économique au niveau du cédant des parts). Il en résultait que la jurisprudence Quemener ne devait pas s’appliquer dans ce cas de figure.

L’arrêt LUPA ne traitait pas de l’opposabilité éventuelle de la doctrine administrative, l’opération objet de la décision ayant été réalisée avant la publication de ladite doctrine.

Ensuite, la Cour administrative d’Appel de Paris dans le cadre de l’affaire FRA, objet de la décision du Conseil d’Etat du 24 avril ici commentée, avait confirmé la position retenue dans le cadre de l’arrêt LUPA tout en ajoutant que la doctrine administrative ne pouvait être invoquée par le contribuable. Toutes les portes semblaient donc fermées.

L’Administration en avait d’ailleurs tiré les conséquences en notifiant un certain nombre de redressements visant à remettre en cause l’application de la jurisprudence Quemener à ce type d’opérations, les procédures étant actuellement en cours.

Curieusement, elle n’avait pas pour autant modifié sa doctrine antérieure à l’arrêt Lupa et validant cette pratique.

L’arrêt FRA et le revirement de jurisprudence

L’arrêt FRA du Conseil d’Etat, vient rebattre les cartes, en considérant que la jurisprudence Quemener est bien applicable dans ce cas de figure. Pour fonder sa décision, les juges considèrent, à rebours de la décision de 2016, que la Cour administrative d’appel ne peut conditionner l’application de la jurisprudence Quemener au fait que la double imposition économique soit supportée par le même contribuable.

En conséquence, l’arrêt de la Cour administrative d’appel est cassé et l’affaire renvoyée devant les mêmes juges.

A noter que le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur l’opposabilité de la doctrine administrative, point qui reste donc en suspens.

Quelles suites en attendre ?

On voit mal comment la Cour administrative d’appel de Paris pourrait ne pas suivre la position du Conseil d’Etat et appliquer la jurisprudence Quemener.

Plus largement, cet arrêt devrait permettre de revenir à la pratique ancienne et donc en cas d’acquisition de sociétés non soumises à l’IS, de pouvoir procéder à une TUP (généralement précédée d’une réévaluation comptable) pour permettre à l’acquéreur d’inscrire l’immeuble à son bilan à sa valeur économique.

La conséquence pratique en serait l’absence de décote pour fiscalité latente sur le prix de cession des parts.

Attention toutefois aux opérations pouvant être qualifiées d’abus de droit (avec son champ d’application étendu aux opérations principalement et non plus uniquement motivées par un objectif fiscal).

Côté Administration, espérerons qu’elle abandonne les procédures en cours fondées sur l’arrêt Lupa.

Enfin, si l’Administration n’avait pas modifié sa doctrine après l’arrêt Lupa (ce qui conduisait à une contradiction entre celle-ci et la pratique des services vérificateurs…), souhaitons que cette fois, elle clarifie sa position pour améliorer la sécurité fiscale des investisseurs !

Pierre Appremont