FISCALIMMO, Fondamentaux & Actualités de la fiscalité immobilière

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Actualité

Le 26 juillet 2022

Fiscalité immobilière patrimoniale


Par Pierre Appremont, avocat associé


Dans l’actualité récente, nous avons fait le choix de nous limiter à deux sujets pour développer certaines de leurs conséquences pratiques :

  • La location meublée au regard de différents dispositifs fiscaux intéressant les personnes physiques (Dutreil, 150 O B ter, IFI),
  • Le démembrement de parts de sociétés immobilières.

Location meublée et dispositifs fiscaux

Une récente décision du Conseil d’Etat est l’occasion de faire le point sur la qualification fiscale de la location meublée au regard de différents dispositifs fiscaux de faveur intéressant les particuliers.

Pour aller droit au but, par cette décision (19 avril 2022, n°442946), le Conseil d’Etat exclut la location meublée du dispositif du remploi prévu par l’article 150 O B ter du CGI, dispositif permettant le report d’imposition d’une plus-value sur titres en cas d’apport à une société holding dans les trois années précédant la cession.

La problématique de fond est que la location meublée est fiscalement qualifiée d’activité commerciale par l’article 35 du CGI (visant l’impôt sur le revenu) alors que sur le plan juridique, l’activité demeure civile. Or un certain nombre de dispositifs visant à encourager l’activité économique prévoit des mesures favorables pour les activités commerciales (et assimilées) tout en excluant les activités de gestion d’un patrimoine notamment immobilier :

  • IFI[1]: exonération des immeubles affectés (sous réserves de conditions nombreuses et parfois complexes) à une activité commerciale,
  • Dutreil[2]: application d’un abattement de 75% aux transmissions à titre gratuit d’entreprises ou de sociétés ayant une activité principalement commerciale,
  • Apport-cession[3]: maintien du report d’imposition en cas de remploi de 60% du prix de cession par la holding dans une activité commerciale.

Quid de la location meublée dans ce contexte ?

Pour l’IFI, la solution (qui prolonge une règle précédemment applicable pour l’ISF) est claire : la location meublée ne qualifie pas comme une activité commerciale au sens du texte pour l’affectation des immeubles mais une exonération spécifique s’applique si le propriétaire est imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie LMP (location meublée professionnelle), ce qui suppose que le CA soit supérieur à 23.000€ et que le bénéfice de cette activité excède celui des autres activités professionnelles du foyer fiscal.

Pour le Dutreil et l’apport-cession, rien ne vient préciser la notion d’activité commerciale excluant les activités de gestion patrimoniale.

L’Administration quant à elle, a évolué puisqu’en 2016, elle indiquait que les immeubles affectés à une activités de LMP étaient éligibles au dispositif Dutreil mais elle a ensuite pris la position inverse dans sa doctrine en 2021 en excluant la location meublée, professionnelle ou non[4].

Le Conseil d’Etat vient donc de se positionner sur le régime de l’apport-cession et lui aussi exclut la location meublée – exercée à titre professionnel ou non – de la notion d’activité commerciale pouvant être un support de remploi. Il précise, ainsi que l’invite le rapporteur public que seule une activité para-hôtelière pourrait être qualifiée de commerciale au sens de l’article 150 O B ter du CGI et définit une telle activité comme la location meublée accompagnée des services permettant de qualifier l’activité de para-hôtellerie au regard de la TVA[5] (3 des 4 services suivants doivent être rendus : accueil, petits déjeuners, nettoyage, linge). Est également visé pour mémoire le cas où le bailleur aurait impliqué « des charges de gestion conséquentes » sans pour autant définir ce dont il s’agit ; sur ce point l’arrêt ne nous semble pas réellement ouvrir de porte quand bien même le propriétaire bailleur en meublé gérerait lui-même ses locations.

Cette analyse nous semble pouvoir être retenue pour le régime Dutreil quand bien même le texte légal n’exclut pas explicitement la gestion de son propre patrimoine immobilier (ce qui est le cas de l’article 150 O B ter du CGI), la doctrine administrative étant elle explicite sur ce point (tout en renvoyant à la définition générale de l’IFI qui pourtant par voie d’exception finit par admettre l’exonération de la LMP, cf. ci-avant).

Cela étant, au vu des enjeux financiers du régime Dutreil, qui conduisent à exclure l’idée même d’un contentieux, la sagesse est probablement de s’en tenir à la para-hôtellerie.

En conclusion :

  Exonération d’IFI Dutreil 150 O B ter
Location meublée Non Non Non
Location meublée LMP Oui Non Non
Para-hôtellerie (3/4 services) Oui Oui Oui

Attention toutefois, il existe des contentieux abondants sur la para-hôtellerie et la réalité des prestations de services annexes à la location, la plus grande vigilance s’impose donc sur leur définition et leur mise en œuvre.


Démembrement de parts de SCI

Après plusieurs décisions de justice, une jurisprudence semble se dessiner concernant la valeur de l’usufruit de parts sociales. Dans une affaire récente (CE, 9e et 10e ch., 20 mai 2022, n° 449385), une société avait acquis l’usufruit de parts sociales d’une SCI détenue par ses associés.

Le Conseil d’Etat a tranché pour considérer que cet usufruit devait être valorisé en ne tenant pas compte des flux prévisionnels de trésorerie pouvant être escomptés pour l’usufruitier pendant la durée du démembrement mais en se référant à la capacité distributrice supérieure de la société. Cette position est différente de celle retenue précédemment qui au contraire retenait la trésorerie disponible et non à la seule capacité distributrice sur le plan comptable.

Ceci étant, cela n’empêche pas le Conseil d’Etat de rappeler en introduction de son raisonnement et après avoir rappelé que la valeur d’un usufruit de parts sociales est fonction des flux futurs pouvant être escomptés par l’usufruitier : » Il en résulte que l’évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles, qui peut être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunts ou des éventuelles mises en réserves pour le financement d’investissements futurs, lorsqu’elles sont justifiées par la société »

Cette solution est discutée car un revenu sans flux est-il encore un revenu ? Selon M. Benoudiz (Droit fiscal 2022, n° 25), cela est difficilement justifiable dès lors que le flux correspondant au remboursement du compte courant résultant du dividende voté est lointain, voire incertain.

Au cas particulier de l’arrêt, la solution a semble-t-il été dictée par les circonstances de fait et notamment en raison du niveau des distributions de dividendes passés alors même que le contribuable tentait de justifier que la trésorerie était inférieure (mais alors pourquoi distribuer sans dire le Conseil d’Etat…).

Au final, l’enseignement à tirer de cet arrêt est que tout va dépendre de la situation de fait et de l’analyse qui en sera faite. Or bien des situations peuvent en pratique se rencontrer :

Ainsi en cas de vente ultérieure de l’immeuble, les dividendes mis en compte courant faute de trésorerie pourrait être effectivement payés ce qui valoriserait l’usufruit.

A contrario, la valeur réelle de l’usufruit serait in fine nulle car dépendant de la volonté de l’usufruitier dans le cas où bien que la capacité bénéficiaire et la trésorerie de la SCI soient présentes, l’usufruitier s’abstiendrait de voter une distribution de dividende, laissant l’usufruit s’éteindre sans avoir perçu les fruits (le juge ayant déjà pris position sur le fait qu’une telle situation n’est pas constitutive d’une donation).

Or rappelons-le, en cas de redressement, l’opération est nécessairement analysée plusieurs années plus tard, à une date où l’on connait la fin de l ‘histoire…Cette décision est également l’occasion de revenir sur les aspects fiscaux des opérations de démembrement impliquant un usufruitier, société soumise à l’IS. En substance, ces opérations consistent généralement en le démembrement d’un immeuble ou de parts de SCI entre un ou plusieurs nus-propriétaires, personnes physiques, et une société soumise à l’IS, usufruitière.

L’intérêt fiscal de cette situation de démembrement est assez évident :

Pendant la durée du démembrement, le nu-propriétaire :

  • n’est pas soumis à l’IFI en sa qualité de nu-propriétaire,
  • n’est pas imposé sur le revenu locatif (versus en l’absence de démembrement : plus de 60% d’impôt/prélèvements sociaux sur le loyer perçu avant le remboursement de la dette),
  • mais bénéficiera au titre de la plus-value de cession d’une fiscalité plutôt avantageuse (abattement en fonction de la durée de la détention permettant une exonération après 30 ans) ;
  • alors que l’usufruitier ne bénéficiera que du revenu locatif (ou des dividendes) avec une fiscalité plus attractive que celle des particuliers (IS à 25% sur le revenu locatif net de l’amortissement et des frais d’acquisition).

Dès lors, le risque existe que l’Administration voie dans ces opérations, une optimisation coupable permettant à terme au nu-propriétaire de s’enrichir sans supporter la fiscalité afférente à son investissement (bien qu’il supporte généralement le risque du financement, seul le nu-propriétaire ayant la qualité d’associé de la SCI).

En pratique, le risque va dépendre de la nature et des modalités de l’opération, sans qu’une position de principe puisse être arrêtée. Pour éviter ou réduire le risque de discussion avec l’Administration, quelques points nous semblent devoir être rappelés :

  • Le démembrement ne doit pas être fictif, à savoir que la traduction juridique et comptable de l’opération doit être exemplaire, le nu-propriétaire par exemple ne doit pas se comporter comme s’il était usufruitier et inversement. Donc même si la tentation peut être grande au fil du temps (ces opérations s’étalent sur une vingtaine d’années en général), il convient de rester extrêmement vigilant. Des redressements ont pu être valablement opérés lorsque l’Administration a pu mettre en évidence que le nu-propriétaire se comportait comme le plein propriétaire du bien ou de la société.

  • Sauf cas particulier (immobilier d’exploitation par exemple), il est à déconseiller que le nu-propriétaire soit également l’associé prépondérant ou unique de la société usufruitière. En effet, une telle structuration ne peut que fragiliser la situation puisque qu’au travers de la société usufruitière, l’intégralité de la propriété du bien appartient à la même personne, ce qui mène inévitablement à la question : pourquoi avoir démembré ?
  • Le démembrement doit trouver une justification économique pour toutes les parties prenantes, il ne peut exister de perdant. Si pour le nu-propriétaire, le constat est assez facile : généralement l’opération étant largement financée par emprunt, il ne met pas ou peu de fonds propres (mais apporte sa garantie personnelle) et in fine, il sera le propriétaire du bien ou le bénéficiaire du prix de vente. Pour l’usufruitier, la situation peut être différente car au final, il n’aura bénéficié que du revenu locatif net ou du dividende sur une période où la trésorerie sera généralement en partie affectée au remboursement du prêt.

Au bout du compte, l’usufruitier pourrait bien ne rien recevoir, et alors, l’abus de droit se dessine, l’usufruitier n’ayant aucun intérêt à l’opération si ce n’est celui indirect de ses associés par ailleurs nus-propriétaires. Et la jurisprudence sur la valeur de l’usufruit ne fera qu’accentuer cette situation si l’on considère qu’il n’a eu ou n’aura droit sur la durée de l’usufruit qu’au revenu plafonné à la trésorerie disponible.

Pour éviter cette situation, on ne saurait trop recommander d’établir un business plan crédible au démarrage de l’opération mettant en évidence le gain net sur la période pour l’usufruitier en traitant ce problème de trésorerie. De même, il conviendra de couvrir l’hypothèse d’une vente de l’actif pendant le démembrement et de s’assurer que dans ce cas également, l’usufruitier (qui n’a pas droit à la plus-value de cession) aura réalisé une opération profitable.

 

[1] Article 975, V-1° du CGI

[2] Article 787 B du CGI

[3] Article 150 O B ter du CGI

[4] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°15

[5] Article 261 D, 4° b du CGI