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Le 12 mars 2024

La force majeure reconnue : une décision rarissime en matière de marchands de biens ! 


Par Pierre Appremont, avocat associé & Samuel Drouin, counsel

 

Par une décision en date du 5 mars 2024, la Cour d’appel de Pau a reconnu qu’un cas de force majeure pouvait libérer un marchand de biens de son engagement de revente dans un délai de 5 ans suivant l’acquisition (article 1115 du CGI).

Une telle décision, étant rarissime, ne boudons pas notre plaisir de la commenter…

Pour mémoire, l’article 1115 du CGI permet :

  • à tout assujetti à la TVA (entité ayant une activité économique et donc pas seulement les marchands de biens, vocable utilisé par habitude car dans le passé, ce régime était expressément réservé aux professionnels marchands de biens et déclarés comme tels auprès de l’Administration fiscale),
  • de n’acquitter que la TPF au taux réduit de 0,715 % au lieu du taux de droit commun de 5,80/6,40 %,
  • sous réserve de s’engager à revendre le bien immobilier acquis (ou des parts de société à prépondérance immobilière ou un fonds de commerce) dans un délai de 5 ans à compter de l’acquisition (délai pouvant être réduit pour certains biens à usage d’habitation).

Il est très rare que l’Administration ou le Juge admette qu’un marchand de biens n’ait pas pu respecter l’engagement de revente dans un délai de 5 ans pour une cause remplissant les conditions de la force majeure, à savoir :

  • extériorité,
  • imprévisibilité,
  • irrésistibilité.

 

Dans sa doctrine, elle indique : « il y aurait lieu de prendre en compte la force majeure invoquée par un acquéreur qui serait en mesure d’établir qu’à raison d’une circonstance présentant les caractères d’extériorité et d’imprévisibilité, il a été dans l’impossibilité insurmontable de vendre pendant toute la durée de son obligation. »

 

En effet, la plupart des jurisprudences considèrent que pour qu’un cas de force majeure justifie la non-revente dans le délai, il doit avoir été rencontré par le marchand pendant toute la période de revente (ce que l’Administration arguait au cas d’espèce).

 

Au cas particulier :

  • une société marchand de biens (le « Marchand ») avait acquis un bien immobilier dans le cadre d’une opération de sale & lease back auprès d’une société industrielle (l’ « Utilisateur ») fin 2013,
  • le lendemain de l’acquisition avait donc démarré un bail entre le Marchand et l’Utilisateur devenu locataire,
  • dès la fin 2014, l’Utilisateur avait cessé de payer les loyers,
  • en juin 2015, le Marchand avait signé un mandat de vente avec un agent immobilier,
  • en juin 2015, l’Utilisateur a été placé en redressement judiciaire, suivi d’une liquidation judiciaire en octobre 2016,
  • entre temps, l’Utilisateur avait intenté une action en nullité de la vente (action intentée en décembre 2015, et définitivement rejetée en avril 2022),
  • enfin, le Marchand avait sollicité et obtenu la résiliation du bail en août 2016.

 

Le 1er avril 2019 (comme quoi, l’Administration peut agir avec célérité et avoir de l’humour !), l’Administration avait notifié un redressement pour non-revente dans le délai de 5 ans de l’acquisition (expirant fin 2018).

Dans le cadre de la procédure, l’Administration avait opposé au Marchand le fait que les conditions de la force majeure n’étaient pas réunies, notamment l’imprévisibilité (le Marchand savait ou aurait dû connaitre les difficultés financières de l’Utilisateur) et pendant 2 ans (jusqu’à la demande en nullité de la vente initiale), l’immeuble pouvait être vendu.

À l’inverse, tant le Tribunal judiciaire que la Cour d’appel confortent la position du Marchand et considèrent qu’au cas particulier en raison de la courte durée s’étant écoulée entre l’acquisition et l’arrêt du paiement des loyers puis du contentieux en nullité de la vente, les éléments constitutifs de la force majeure étaient bien réunis à savoir que la succession d’événements avaient bien rendu la revente de l’immeuble impossible et ce dès la fin de l’année suivant l’acquisition et que cette situation était imprévisible, l’Administration ne démontrant pas que le Marchand avait connaissance de la situation financière dégradée de l’Utilisateur.

 

⇒Il n’est pas certain qu’une telle décision annonce un adoucissement de la position administrative ou de la jurisprudence sur le sujet. Ceci étant, s’agissant de questions de fait, cela démontre que dans des situations complexes ou incertaines, il peut toujours exister un intérêt à saisir le Juge !