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Le 13 décembre 2022

Les data centers : état des lieux juridique & fiscal  


Par Christine Bernardo, avocat counsel & Samuel Drouin, avocat counsel  


Les data centers : une réalité diverse

 

L’implantation des centres de données (data centers) remonte, en France, au début des années 1990 et désormais, on en comptabilise plus de 250.

L’ADEME rappelle que « les centres de données recouvrent une diversité de services et d’activités ». En effet, il existe différents types de centres de données.

En premier lieu, certaines entreprises disposent de centres de données privés et internes, qui exploitent leur propre matériel informatique.

En deuxième lieu, les centres de données sont utilisés pour externaliser l’hébergement des données d’entreprises ou de particuliers.

Le «cloud computing» est un modèle où le client d’un centre de données externe paie pour sa seule utilisation des ressources informatiques. C’est le fournisseur qui s’occupe de la sécurisation et de la maintenance du site, ainsi que du réseau.

Enfin, certains centres de données sont utilisés pour la sécurisation des transactions de bitcoins et crypto-monnaies (le minage des cryptomonnaies).

A ce jour, l’implantation de centres de données est régulée par les procédures d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), la réglementation d’urbanisme (la construction des centres de données devant être autorisée par un agrément en Île-de-France et par un permis de construire).

D’autres contraintes existent, comme celle de pouvoir disposer d’une source très élevée d’énergie ou de réseaux de communications numériques très nombreux.


1. Destination d’un data center au regard du droit de l’urbanisme : entrepôt ou local industriel ?

Pour rappel, le décret du 28 décembre 2015 a notamment fait évoluer à la baisse le nombre des destinations des constructions (article R. 151-27 du Code de l’urbanisme) qui sont désormais au nombre de 5 :

  • exploitation agricole et forestière ;
  • habitation ;
  • commerce et activités de service ;
  • équipements d’intérêt collectif et services publics ;
  • autres activités des secteurs secondaire et tertiaire.

Pour chaque destination, le nouvel article R. 151-28 du Code de l’urbanisme a défini des sous-destinations, et par arrêté ministériel en date du 10 novembre 2016, les définitions et le contenu des sous-destinations ont été précisés.

Conformément à l’arrêt du 7 juillet 2022 du Conseil d’Etat, les dispositions du code de l’urbanisme déterminant les autorisations nécessaires pour réaliser un changement de destination devaient être définies au regard des nouvelles destinations et sous-destinations, définies par l’arrêté du 10 novembre 2016, y compris si le PLU n’a fait l’objet d’une révision en application de la loi ALUR.

Ni le code de l’urbanisme ni l’arrêté du 10 novembre 2016 n’attribue une destination spécifique aux data centers.

Les centres de données sont considérés comme des entrepôts par le guide d’information du ministère relatif aux destinations qui classe les « centres de données » dans la sous-destination « entrepôt ».

Inversement, certains documents d’urbanisme les classent dans la sous-destination « industrie » les constructions « destinées au stockage de données numériques telles que les data centers ». Ce guide n’a pour autant aucune valeur juridique.

Certaines communes ont classé les centres de données en locaux industriels. Pour autant, les communes n’ont plus la possibilité, depuis la réforme des destinations de 2016, de définir le périmètre des destinations.

En conclusion, en l’absence de jurisprudence, il est difficile en l’état de trancher sur la destination « légale » d’un data center.

On peut, en revanche, relever que la destination d’un centre de données peut être analysée au regard de l’activité de ce centre de données.

Ainsi, les data centers ayant vocation à stocker des données pour les tiers devront certainement être classés en entrepôts. Inversement, les data centers participant à une activité de production ou à l’exécution d’un service public devront être classés dans une destination industrielle.

 

2. Les autorisations nécessaires à la construction d’un data center

Agrément

En application de l’article R. 510-1 du Code de l’urbanisme, dans la région d’Ile-de-France, sont soumis à agrément toute opération entreprise par toute personne physique ou morale de droit privé, ou de droit public lorsque le champ d’action de la personne morale relève en majeure partie du secteur concurrentiel, tendant à la construction, la reconstruction, la réhabilitation ou l’extension de tous locaux ou installations servant à des activités industrielles, commerciales, professionnelles, administratives, techniques, scientifiques ou d’enseignement.

L’article R. 510-6 du Code de l’urbanisme dispose notamment que sont soumis à agrément lorsque ces opérations ajoutées à celles éventuellement réalisées sur le même site au cours des douze mois précédents portent sur une surface de plancher supérieure à 5.000 mètres carrés pour la construction de locaux destinés à un usage industriel sans utilisateur déterminé ou à un usage d’entrepôt.

La Préfecture de Paris et d’Ile-de-France précise les modalités d’instruction des demandes d’agrément relatives aux centres de données. Elle rappelle que « les projets de centre de données sont soumis à agrément dès lors qu’ils dépassent 5000 m² de surfaces de plancher », en précisant « Les centres de données sont classés dans la catégorie « entrepôt » au titre des destinations du code de l’urbanisme (cf. Guide de la modernisation du contenu du plan local d’urbanisme, Ministère du logement et de l’habitat durable, avril 2017, p. 76) ».

En application de l’article R. 510-2 du Code de l’urbanisme, la demande d’agrément est, en principe, instruite par le Préfet de la région d’Ile-de-France.

L’implantation des centres de données doit ainsi s’inscrire dans les orientations préconisées par le schéma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF) et, plus généralement, être compatible avec les politiques d’aménagement durable du territoire qui englobent de très nombreuses thématiques, et notamment :

  • la trajectoire du « zéro artificialisation nette » (ZAN) inscrite dans la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « climat et résilience »,
  • les ambitions de sobriété énergétique définies dans le schéma régional climat air énergie (SRCAE) d’Île-de-France arrêté en décembre 2012,
  • la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2028 adoptée le 21 avril 2020,
  • la Loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France : les deux derniers chapitres visent à promouvoir des centres de données moins énergivores et une stratégie numérique responsable dans les territoires. Cette loi prévoit notamment la réutilisation de la chaleur fatale ou le respect d’un indicateur chiffré en matière d’efficacité dans l’utilisation de la puissance (valeur qui sera déterminée par décret).

En vue de faciliter l’instruction des demandes d’agrément et le respect des dispositions susvisées, la Préfecture de la Région Ile-de-France a défini des orientations pour l’instruction des demandes d’agrément pour les nouveaux centres de données.

L’instruction des demandes d’agrément doit ainsi privilégier les projets :

  • réutilisant des friches industrielles, commerciales, artisanales…
  • situés dans des secteurs urbanisés proches de réseaux de chaleur urbains ou d’un utilisateur potentiel de la chaleur fatale (logements, gymnases, piscines…),
  • implantés dans des zones d’activités prévoyant ce type d’installation,
  • compacts et denses afin de limiter l’artificialisation des sols.

Ces orientations sont applicables à toutes les demandes d’agrément portant sur une opération à usage principal de centres de données, à compter du 1er mars 2022.

Le Préfet dispose d’un délai de trois mois à compter de la réception de la demande pour statuer. En l’absence de réponse dans ce délai, l’agrément est réputé accordé dans les termes où il a été demandé.

Tout refus d’agrément doit être motivé.


Permis de construire / ICPE

En application de l’article L. 421-1 du Code de l’urbanisme, les constructions nouvelles, même ne comportant pas de fondations, sont par principe soumises à permis de construire.

La construction du projet de data center devra être donc être précédée d’un permis de construire. Le permis de construire ne pourra être légalement délivré que si le projet respecte les différentes règles du plan local d’urbanisme applicable.

En outre, en fonction du type d’équipements du data center, il sera nécessaire d’avoir des autorisations au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (accumulateurs électriques, groupe électrogène, stockage fuel, …).


Evaluation environnementale

Sont soumis à procédure d’évaluation environnementale (étude d’impact et enquête publique) :

  • les travaux, constructions et opérations constitués ou en création qui créent une emprise supérieure ou égale à 40.000 m² dans un espace autre qu’une zone urbanisée d’un plan local d’urbanisme ;
  • les travaux, constructions et opérations d’aménagement constitués ou en création qui soit créé une surface de plancher supérieure ou égale à 10.000 m² sont soumis à la procédure de cas par cas. Dans cette procédure, un dossier présentant les impacts du projet sur l’environnement est adressé au préfet. Au terme d’une procédure d’instruction de 35 jours, le préfet statue sur la nécessité ou non de soumettre le projet à évaluation environnementale.

En outre, en application de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement, même dans l’hypothèse où le projet n’entre pas dans le champ d’application susvisé (en-dessous des seuils), l’autorité compétente pour instruire la demande de permis de construire peut, dans un délai de quinze jours à compter du dépôt du dossier de demande de permis de construire, décider que le projet doit faire l’objet d’un examen au cas par cas par l’autorité environnementale.

Ainsi, même si le projet n’entre pas dans le champ d’application de la procédure de cas par cas, le maire peut, dans un délai de 15 jours à compter du dépôt de la demande de permis de construire, décider de soumettre le projet à une procédure de cas par cas.

Par ailleurs, les installations classées pour la protection de l’environnement peuvent, en fonction de leurs caractéristiques, être soumises à évaluation environnementale.

Comme le relève Mission Régionale d’Autorité environnementale dans sa « Note d’éclairage de la MRAe Île-de-France sur l’implantation des centres de données », les centres de données présentent de nombreux risques pour l’environnement (émissions de gaz à effet de serre, incendie, explosion…).

Les autorités environnementales veillent donc à ce que les études d’impacts qui leur sont fournies ou produites par les maîtres d’ouvrage présentent correctement les procédures applicables, mais également les impacts de ces projets sur l’environnement et notamment les impacts sur la consommation d’énergie, le sujet spécifique du réemploi de la chaleur fatale, les risques de pollution atmosphérique, les nuisances sonores, l’impact sur la faune et la flore….


3. Les data centers hors du champ d’application de la taxe pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage en Ile-de-France

En application du III de l’article 231 ter du Code général des impôts, auquel renvoie l’article L 520 1 du Code de l’urbanisme, la taxe (anciennement dénommée redevance) pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage en Ile-de-France est due :

« 1° Pour les locaux à usage de bureaux, qui s’entendent, d’une part, des bureaux proprement dits et de leurs dépendances immédiates et indispensables destinés à l’exercice d’une activité, de quelque nature que ce soit, par des personnes physiques ou morales privées, ou utilisés par l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements ou organismes publics et les organismes professionnels, et, d’autre part, des locaux professionnels destinés à l’exercice d’activités libérales ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif;

2° Pour les locaux commerciaux, qui s’entendent des locaux destinés à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal ainsi que de leurs réserves attenantes couvertes ou non et des emplacements attenants affectés en permanence à ces activités de vente ou de prestations de service ;

3° Pour les locaux de stockage, qui s’entendent des locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production ».

Ne sont notamment pas soumis à la taxe pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage en Ile-de-France, les locaux industriels.

 

Les data centers ne sont pas des locaux de stockage et donc ne sont pas assujettis à cette taxe à ce titre

Cette question de la qualification des data centers, à savoir locaux de stockage, locaux industriels, locaux d’une autre nature … et donc celle de l’assujettissement ou non à la taxe pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage en Ile-de-France, vient de connaître son épilogue devant la juridiction administrative.

Après une première décision rendue en 2020 cassée en 2021 par le Conseil d’Etat pour erreur de droit, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rendu une nouvelle décision le 11 février 2022
(n° 2105668) par laquelle il a conclu que la taxe n’était pas applicable dans la mesure où le data center ne constituait pas un local de stockage, ce data center « n’ayant pas pour fonction principale de stocker des données mais d’héberger des équipements informatiques destinés à collecter et traiter des données en vue de leur exploitation par leur utilisateur ». A cette fin, le Tribunal a relevé que le data center hébergeait des serveurs informatiques alimentant et faisant fonctionner différents services de surveillance et de gestion du réseau RATP (vidéosurveillance, radiocommunication des réseaux de bus, métro et RER, outils applicatifs du centre de régulation et d’information des voyageurs du réseau de bus, service de communication dédié aux lignes automatiques de métro et système de gestion de la maintenance assistée par ordinateur permettant le pilotage des actions de maintenance préventives et curatives des matériels fixes et roulants) et que si ces services étaient produits à partir des données stockées au sein du data center, ces données n’étaient hébergés que sur 10% des baies composant le data center (les 90% restant hébergeant des serveurs portant les services précités indispensables à l’exploitation du réseau de transport de la RATP).

Cette décision du Tribunal administratif a été confirmée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 11 octobre 2022 (n° 463134).

En effet, le Conseil d’Etat relève :

  • d’une part que « les données numériques traitées dans les locaux en litige ne constituent ni des produits, ni des marchandises, ni des biens, au sens du 3° du III de l’article 231 ter du code général des impôts»
    et
  • d’autre part que « la circonstance, non contestée, que ces locaux abritent des matériels et infrastructures informatiques en fonctionnement ne saurait conduire à regarder ces locaux comme destinés à un entreposage au sens des mêmes dispositions ».

 

Alors que la décision du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise pouvait être considérée comme résultant des particularités du data center en cause (10% des baies utilisées pour le stockage de données et 90% pour des serveurs nécessaires au fonctionnement de différents services), la formulation retenue par le Conseil d’Etat permet de considérer que la solution devrait concerner l’ensemble des data centers.

Par ailleurs, l’assujettissement à la taxe ne doit pas pouvoir être fondée sur la qualification de local commercial puisque sont seuls taxables, les locaux commerciaux auxquels le public a normalement accès.

 

Néanmoins un montant de taxe résiduel pour les bureaux des data centers ? 

Demeure la question de l’assujettissement à la taxe, des bureaux se situant au sein des data center, étant précisé que ce point n’a pas été tranché par la juridiction administrative faute de contestation de la taxe qui avait été appliquée aux bureaux.

Or, compte tenu de la décision du Conseil d’Etat excluant la qualification de locaux de stockage des data centers, il pourrait être considéré que ceux-ci peuvent bénéficier des dispositions de l’article L-520-6-4° du Code de l’urbanisme qui stipule que dans les établissements industriels, sont exonérés de la taxe, les bureaux qui sont soit dépendants de locaux de production, soit d’une superficie inférieure à 1.000 m².

Cependant, cette position pourrait se voir opposer la définition des établissements industriels de l’article R-520-4 du Code de l’urbanisme selon laquelle « est réputé établissement industriel un établissement dont l’activité nécessite d’importants moyens techniques lorsqu’elle consiste dans la fabrication ou la transformation de biens ».

 

Des réclamations possibles pour la taxe pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage et la taxe annuelle mais attention à ne pas tarder 

Cette décision rendue pour la redevance pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage est applicable à la taxe pour création de ces mêmes catégories de locaux qui s’y est substituée depuis 2016, ainsi qu’à la taxe annuelle sur les bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage en Ile-de-France.

Pour les contribuables ayant acquitté la taxe pour création de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage, une réclamation est possible pour les titres de perception perçus postérieurement au 1er janvier 2021, ce jusqu’au 31 décembre 2022 pour les titres reçus en 2021 et 31 décembre 2023 pour les titres reçus en 2022.

Pour la taxe annuelle, une réclamation est possible jusqu’au 31 décembre de la 2ème année suivant celle de son versement, soit le 31 décembre 2022 pour la taxe annuelle acquittée en 2020.


4. Les data centers également hors du champ d’application de la taxe additionnelle aux droits d’enregistrement de 0,60 % applicable aux ventes d’immeubles situés en Ile-de-France

Aux termes de l’article 1599 sexies du Code général des impôts, les ventes de locaux à usage de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage achevés depuis plus de 5 ans et situés en Ile-de-France sont soumis à une taxe additionnelle de 0,60 %, soit un taux global d’imposition de 6,40 % au lieu de 5,80 %.

Dans la mesure où pour la définition de ces locaux à usage de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage, l’article 1599 sexies du Code général des impôts renvoie à l’article L 520-1 du Code de l’urbanisme, la décision du Conseil d’Etat précitée permet de conclure que les ventes de data centers ne sont pas soumis à cette taxe additionnelle de 0,60 %, hormis pour leur surface correspondant à des bureaux (qui devrait être peu significative).