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​Le 15 septembre 2020

Location d’immeubles et TVA : pour le Conseil d’Etat, l’option partielle est possible !

 

Rappel du droit


La location nue d’un immeuble à usage professionnel est soumise à TVA sur option expresse du bailleur (article 260, 2°, du Code général des impôts). Dans les immeubles ou ensemble d’immeubles comprenant à la fois des locaux nus donnés en location ouvrant droit à l’option TVA et d’autres locaux (locaux d’habitation, locaux loués à des preneurs non assujettis à la TVA…), l’article 193 de l’Annexe II au CGI précise que l’option TVA ne s’étend pas aux « autres locaux », mais s’applique globalement à l’ensemble des locaux ouvrant droit à option TVA.

Interprétant ces dispositions, l’Administration fiscale a précisé dans sa doctrine (BOI-TVA-CHAMP-50-10 n° 120) que l’option exercée « couvre obligatoirement tous les locaux non exclus de son champ d’application qu’un bailleur possède dans un immeuble donné. L’option s’exerce donc en pratique immeuble par immeuble ».

Ainsi, en pratique, dans le cas où l’immeuble comportait uniquement des locaux à usage de bureaux loués nus mais dont certains locataires exerçaient une activité soumise à TVA (permettant donc de déduire la TVA grevant les loyers) et d’autres, telles les banques et compagnies d’assurance, une activité exonérée de TVA (ne permettant donc pas de déduire TVA grevant les loyers), le bailleur pouvait :

  • soit opter pour l’application de la TVA à la location de l’immeuble, auquel cas-là TVA s’appliquait à l’ensemble des locaux de l’immeuble, ce qui pouvait conduire le bailleur à devoir accepter une baisse du loyer HT pour les preneurs ne pouvant déduire la TVA ;

  • soit ne pas opter pour l’application de la TVA à la location de l’immeuble, auquel cas il n’avait aucun droit à déduction de TVA au titre de l’immeuble et donc ne pouvait déduire la TVA grevant les travaux et charges afférentes à l’immeuble (voire le cas échéant le prix d’acquisition de l’immeuble).
 
La décision du Conseil d’Etat


Par une décision du 9 septembre 2020 (SCI EMO, n° 439143), le Conseil d’Etat ouvre une troisième voie dans le cas précité, à savoir l’option pour la TVA uniquement pour une partie des locaux de l’immeuble, en pratique les locaux loués à des preneurs pouvant déduire la TVA car exerçant une activité soumise à TVA.

Le Conseil d’Etat relève que si la Directive européenne TVA autorise les États membres à préciser la portée et les modalités pratiques du droit d’option pour la TVA, elle ne leur confère pas le droit de restreindre le principe d’exonération de TVA des locations d’immeubles, de telle sorte que si les articles 260, 2°, du CGI et 193 de l’Annexe II au CGI permettent au bailleur d’opter pour la TVA pour l’ensemble des locaux d’un immeuble, elles ne lui en font pas obligation. Ainsi, l’option pour la TVA à la location d’une partie des locaux d’un immeuble n’a pas pour effet de soumettre à la TVA la location des autres locaux.

 

Que faire de cette nouvelle opportunité ?


On le voit bien, elle permet d’avoir un traitement TVA différencié pour certains lots d’un même ensemble immobilier.

Pour mémoire, la situation n’est pas totalement nouvelle, elle existait lorsqu’un immeuble comprenait des lots de différentes natures, avec notamment des lots d’habitation dont la location était exonérée sans faculté d’option ou si des lots professionnels étaient loués à des preneurs non assujettis à la TVA (à distinguer des preneurs exonérés comme les assureurs, il s’agit de preneurs n’ayant pas d’activité économique comme une administration publique) qui refusaient l’application de la TVA à leurs loyers (faculté dont ils bénéficient quand bien même le bailleur a opté pour la TVA au titre de l’immeuble loué).

La contrepartie de la non application de la TVA sur certains lots sera une dégradation du droit pour le bailleur de déduire la TVA afférente à l’immeuble en cause. Il faut donc bien mesurer le coût de cette perte de TVA déductible et la comparer au gain lié à la non application de la TVA aux loyers (augmentation du loyer HT si le locataire ne peut déduire la TVA) avant de ne pas opter ou de renoncer à une option préexistante.

 

Plus précisément, le fait qu’une partie des loyers afférents à un immeuble ne soit pas soumise à TVA entraînera :

– L’application d’un prorata de déduction à la TVA grevant les charges et dépenses immobilisées afférentes au dit immeuble. En effet, la loi prévoit expressément qu’un immeuble constitue un secteur distinct d’activité au regard de la TVA, qui doit être traité isolément et comme un bloc (on ne peut pas affecter certaines dépenses aux lots loués en TVA ou à ceux exonérés).

– Selon les dispositions légales, ce prorata sera calculé comme suit : % = loyers soumis à TVA/loyers totaux générés par l’immeuble. Cependant, il conviendra de suivre la réaction de l’Administration fiscale afin de savoir si elle étendra la tolérance administrative actuelle (BOI-TVA-CHAMP-50-10 n° 160) aux termes de laquelle « lorsque l’immeuble ou l’ensemble d’immeubles, au titre duquel une option a été formulée, regroupe à la fois des locaux couverts par cette option conformément aux dispositions du 2° de l’article 260 du CGI et des locaux non couverts par une telle option (locaux à usage d’habitation ou à usage agricole, locaux donnés en location pour les besoins de l’activité de preneurs non assujettis à la TVA dont le bail ne fait pas mention expresse de l’option par le bailleur, locaux à usage professionnel non encore effectivement loués), la TVA afférente à la construction ou l’acquisition de l’immeuble ou de l’ensemble d’immeubles concerné n’est déductible qu’à concurrence de la surface des locaux effectivement couverts par l’option ».

– Ce prorata s’applique de façon définitive à la TVA grevant les dépenses non immobilisées de l’année en cause.

– Concernant les immobilisations (prix d’acquisition de l’immeuble ou travaux), le prorata s’applique chaque année et fait varier le droit à déduction initial (sous réserve que le prorata varie de plus de 10 points), tout en sachant que chaque année, 1/20 de la TVA initialement déduite est définitivement acquise et n’est donc plus susceptible d’être reversé en cas de variation défavorable du prorata.

En pratique, avant de renoncer à l’application de la TVA sur tout ou partie d’un immeuble, il faut donc bien calculer tant l’impact positif sur le loyer HT (on suppose qu’en général l’absence d’option pour la TVA résulte de l’incapacité pour le locataire de la récupérer en raison de son propre statut TVA) que l’impact négatif sur les droits du bailleur à déduire la TVA, tant au titre d’immobilisations réalisées dans le passé (acquises au cours des 19 dernières années) que de dépenses futures.

 

Concernant les modalités pratiques de l’option TVA :

 Elle s’applique à compter du premier jour du mois de son exercice.

– Elle ne peut être dénoncée avant la fin de la 8ème année suivant celle de son option.

– Il est très préférable qu’elle prenne la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception.

Cela veut donc dire que lorsque l’option a déjà été exercée, elle ne peut pas être dénoncée partiellement ou totalement à tout moment (délai minimum). En revanche, si aucune option n’a été exercée, une option partielle pourrait être réalisée sans contrainte.

 

Il est donc nécessaire de faire l’audit de ses baux pour rechercher si :

– des locataires ne pouvant pas déduire la TVA se voient facturer un loyer en TVA ;

– des locataires pouvant récupérer la TVA supportent des loyers sans TVA (car par exemple un locataire important dans l’immeuble ne peut la déduire, d’où l’absence d’option pour l’immeuble entier) ;

– puis ensuite chiffrer l’impact d’un changement d’option et le cas échéant se rapprocher des locataires concernés pour négocier le montant du loyer HT (et leurs éventuelles exigences en termes de travaux) si la situation TVA était modifiée ;

– et enfin le cas échéant, modifier l’option.

Concernant cette dernière étape, si l’arrêt du Conseil d’Etat est clair, il serait préférable que l’Administration précise les modalités d’une option partielle pour éviter toute discussion sur la forme. A défaut, un seul conseil : être le plus précis sur la désignation des différents lots concernés par une option partielle ; toute imprécision risquant d’être utilisée pour dénier le statut TVA de l’immeuble (dans un sens ou l’autre selon les situations).

Pierre Appremont & Samuel Drouin