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Le 16 février 2023

Montaigne & Victor Hugo sont-ils comparables ? Non pour le Tribunal Administratif de Dijon 


Par Pierre Appremont, avocat associé & Pierre Pérol, avocat

 

L’exercice de répartition de la valeur d’un immeuble entre son terrain et les constructions qui y sont édifiées a des conséquences importantes sur le plan fiscal. Cet exercice conditionne notamment les montants de dotation aux amortissements déductibles du résultat imposable (les amortissements ne pouvant porter que sur la partie constructions d’un immeuble). Le contribuable doit alors s’efforcer de refléter au mieux la réalité économique particulière à l’actif, cette réalité pouvant être très différente selon le lieu de situation de l’immeuble ou encore son année de construction.

A la date de rédaction de cette newsletter, l’Administration n’a pas interjeté appel de cette décision.

Le Tribunal Administratif de Dijon a récemment apporté des éclaircissements pratiques en la matière (17 janvier 2023, N° 2100821). 

Dans cette affaire, se posait la question de la répartition comptable à retenir entre le terrain et les constructions pour un immeuble situé au 72 boulevard Victor Hugo à Paris.  


Les 3 méthodes de ventilation 

De manière classique, le juge rappelle dans un premier temps les 3 méthodes de ventilation fixées et hiérarchisées dans 2 arrêts du Conseil d’Etat de 2016 (CE, 9e et 10e ss-sect., 15 févr. 2016, n°367467, SARL Daves Place des États-Unis & n°380400, Sté LG Services) – cf notre Newsletter du 21 décembre 2016

  1. La méthode de l’évaluation du terrain nu par comparaison : détermination de la valeur du terrain par référence à des transactions réalisées sur des terrains nus situés dans la même zone géographique et présentant des droits à construire similaires. Les transactions doivent avoir été réalisées à des dates proches de celle de l’entrée de l’immeuble au bilan de l’entreprise ;
  2. La méthode du coût de remplacement net : détermination de la valeur des constructions à partir du coût de reconstruction à neuf des bâtiments existants, à l’identique ou à l’équivalent, à la date de l’entrée de l’immeuble au bilan de l’entreprise avec prise en compte de la vétusté et de l’état d’entretien des constructions ;
  3. En cas d’impossibilité de retenir l’une des deux méthodes précédentes (notamment pour les immeubles les plus anciens), détermination de la ventilation du coût entre terrain et constructions par comparaison avec des données comptables issues du bilan d’autres entreprises ayant acquis à des dates proches des immeubles comparables en termes de localisation et de type de construction.

 

Le Tribunal Administratif de Dijon relève ensuite…

Le Tribunal Administratif de Dijon relève ensuite l’impossibilité d’appliquer les 2 premières au cas d’espèce au vu de l’emplacement et de la période de construction de l’immeuble. Le juge valide donc le choix de l’Administration de recourir à des comparables comptables. Le contribuable ne conteste pas cette analyse.

C’est au stade de l’examen des comparables fournis par l’Administration que la décision nous parait être la plus intéressante.

L’Administration retient 7 comparables « relativement » situés aux abords de la place de l’Etoile, acquis entre 1999 et 2007 (50 Avenue Montaigne, 116 bis Avenue des Champs-Élysées…) pour lesquels la quote-part terrain se situe entre 45 et 68 %. Au vu de ces comparables, l’Administration propose de retenir une valorisation du terrain moyenne de 50 %.

Le contribuable réfute la pertinence des comparables fournis par l’Administration, soutenant que leurs caractéristiques ne sont pas comparables avec celles de l’immeuble faisant l’objet du redressement. Le contribuable relève notamment les différences de prix au m² des terrains résultant des évaluations retenues par l’Administration qui iraient de 866 à 55.096 €/m², soit un prix pouvant être 63 fois plus élevé au m² selon la transaction.

Le Tribunal, suivant les arguments du contribuable, annule le redressement en considérant que : 

  • c’est à l’Administration d’apporter la preuve de l’erreur du contribuable ; et
  • les comparables identifiés par l’Administration ne le sont pas :
    • la zone géographique retenue est trop étendue (l’un des comparables est l’immeuble situé 50 Avenue Montaigne, soit dans un quartier de Paris différent),
    • les époques de construction sont différentes (certaines constructions étant significativement plus récentes),
    • les surfaces construites par rapport aux terrains d’assiette sont également très différentes (laissant présager pour certains immeubles des capacités de surélévation),
    • les écarts en valeur au m² entre certains « comparables » sont trop élevés.

L’intérêt principal de cette décision est l’examen factuel des éléments pouvant être pris en compte afin de déterminer la comparabilité d’immeubles. Ces éléments pourraient notamment être utiles lors d’éventuelles discussions avec l’Administration.

Quelques commentaires toutefois…
  • En termes de comparables, l’Administration a retenu sept comparables inscrits à l’actif du bilan de sociétés entre 1999 et 2007. La longueur de la période retenue aurait également pu être contestée. En effet, sur cette période, l’immobilier de bureau sur le secteur a augmenté d’environ 250 %. Or, cette augmentation n’affectant pas ou peu le coût de construction, elle devrait donc porter en totalité sur le terrain (soit la part de la valeur de l’immeuble qui ne se déprécie pas dans le temps). Dès lors, la quote-part des terrains devrait de facto augmenter de façon encore plus importante. De même, et en complément de l’écart au m² de terrain, le simple fait que les pourcentages varient de 45 à 68 % (soit 23 % d’écart, ou 50 % pour le seul terrain) démontre également le caractère non comparable des immeubles retenus entre eux (il ne s’agit pas de prendre la moyenne d’éléments hétérogènes mais de constater que plusieurs immeubles ont des ratios proches. Ceci permet de caractériser leur comparabilité avec le bien litigieux si les autres critères de comparabilité sont également remplis).
  • D’un point de vue procédural, le point litigieux avait été soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires. Cette dernière avait suivi le raisonnement de l’Administration. Cette décision constitue l’occasion de rappeler que la Commission peut parfois être d’une objectivité relative et que sa saisine n’est pas toujours une opportunité à saisir…Il convient de relever, et c’est l’un des mérites de cette décision, que les cas dans lesquels l’avis de la commission (présidé par un membre du Tribunal Administratif) n’est pas suivi au contentieux (comme c’est le cas en l’espèce) ne sont pas si courant. Enfin, cette décision souligne le fait que l’application de la jurisprudence du Conseil d’Etat est en pratique dépourvue de caractère contradictoire. En effet, l’Administration fait son propre choix de comparables avant de les soumettre au contribuable qui, lui, n’a pas accès à l’information (cette situation se rapproche de la situation des contribuables en matière de publicité des valeurs vénales avant que l’Administration ne donne accès au public à sa base de données).
  • Au cas particulier, on peut gager que l’Administration avait accès à des données comptables (pour des immeubles situés dans la même zone géographique que celui faisant l’objet du redressement) dans lesquelles la valeur des terrains représentait un pourcentage bien inférieur à ceux retenus par l’Administration. Dans l’objectif de préserver le caractère contradictoire, le juge devrait imposer une approche plus systématique en termes de comparables pouvant être retenus (zone et période plus restrictives assorties d’une obligation pour l’Administration de fournir toutes les données, à charge ensuite de rechercher parmi celles-ci, les comparables) pour que les règles du jeu soient équitables ; si tant est qu’elles puissent vraiment l’être en matière fiscale !